392 - Le début de la malédiction

S’infiltrer dans le fort n’a pas été très difficile. Suffisait d’entrer avant que la Dame de Milford donne ses ordres. Ensuite, attendre le bon moment. Indiscrète, elle savait exactement où se cacher pour que personne ne la trouve. La chambre de Finnegan. Pourquoi aurait-on fouillé la chambre de Finnegan ? Elle savait que la sienne serait fouillée et tout ce qui comptait vraiment avait été soigneusement dissimulé là où on ne le trouverait pas.

Lorsqu’elle s’infiltre dans sa chambre, il n’est pas très tard et il semble que Evadne ait déterminé qu’elle était partie. Du moins, on a laissé sa chambre tranquille. Ou alors elle a fait ce qui est généralement le plus sage à faire. Se pousser de son chemin.

Mais Dame Ingrid a des choses à récupérer. Enfin, c’est plutôt la Sorcière qui a des choses à récupérer. Elle entre dans sa chambre aisément, tout de même étonnée qu’elle ne soit pas verrouillée. Evadne deviendrait-elle négligente ? Ou alors est-ce Stephan ? Peu importe.

Même si elle ne le voit pas, elle sait ou chercher. Il doit être là. C’est là qu’elle l’a laissé. Elle a un léger moment de panique lorsqu’elle se rend à l’évidence qu’il n’est pas là. Comment Evadne a-t-elle pu le trouver ? Impossible.

- C’est ce que tu cherches ?
- Oh ! Haize, c’est toi. Les Juges soient loués, tu as Lufotu, s’exclame-t-elle avant de froncer les sourcils et de jeter un regard méfiant sur son fils. Depuis quand arrive-tu à le prendre ?
- J’ai toujours pu. Elle a cru que tu l'abandonnais, elle aussi.
- Elle ?
- C’est la Première, non ?
- L’abandonner ? Elle aussi ?
- Tu ne pouvais pas t’en empêcher n’est-ce pas ?
- Quoi ? Oh, tu parles de Stephan ? Pfff, qu’est-ce que ça peut faire ? Il est vivant et en plus, il va très bien, dit-elle en tendant les bras pour reprendre Lufotu.
- Heureusement, la sermonne-t-il sans faire un geste pour le lui rendre. Tu devais bien te douter que le pousser de la falaise ne serait pas sans conséquences.
- Evadne a toujours été chatouilleuse au sujet de ses protégés, dit-elle comme s’il s’agissait d’une tare.
- Et maintenant ? L’hésitation de sa mère lui en dit beaucoup plus qu’elle ne l’aurait préféré. C’est pour Lufotu que tu es revenu, n’est-ce pas ?
- Bien sûr que non. Nous pouvons voler le navire d’Evadne et partir, peut-être que nous pourrions… quoi ?
- Tu sais très bien que je ne peux pas reprendre la mer… IL hoche la tête, contrarié. Évidemment, ça ne te concerne pas, donc tu n’as pas à y réfléchir. Ne t’en donne pas la peine, mère, nous partons demain matin pour Eranthidis.
- Quoi ? Eranthidis ? Non, il n’en est pas question, rage brusquement la Sorcière.
- Je ne crois pas que tu puisse encore faire valoir tes droits après avoir poussé Stephan.
- Tu as raison, donc je vais partir avec Finnegan et tu nous rejoindras un jour ou l’autre.
- Tu sais, moi je serais en sécurité à Eranthidis.
- Toi ? À Eranthidis ? Et elle semble trouver que c’est une bonne blague. Ici, comme Eranthidis, c’est une prison. La différence c’est que celle d’Eranthidis est bien dorée.
- Ce sera mieux pour moi une prison dorée que de me retrouver enfermée sur le Barjaron ou sur le Talyos, dit-il à voix basse, comme si le simple fait d’évoquer ces deux endroits pouvaient les rendre réel.
- C’est toi qui a désobéi à la Murène et volé la Grande Faux.
- La Murène voulait que j’assassine Jasp !
- T’avais qu’à le faire !
- Mais c’est de Jasp qu’il s’agit !
- Et alors ? Lui ou un autre, qu’est-ce que ça peut faire ?

Haize tressaille et lui flanque durement le grimoire entre les mains.

- Tu peux partir, maintenant.

Finn s’immobilisa et regarda en bas. Lynch s’y connaissait. Une main sur chaque mur, elle bloquait tout l’espace de l’escalier  et la refoulait vers le haut. Elles échangèrent un regard.

- Allez Finn… On n’a pas de temps à perdre, vous partez avec la marée et la marée est largement avant le lever du soleil… Paquetage, bain, et couchée tôt…

Finn redressa la tête et ouvrit la bouche pour protester.

- Je sais, tu n’es plus une enfant… l’interrompit l’enseigne. C’est pour ça que tu agis en adulte… Allez, monte… Tu sais, les Milford d’Eranthidis vont être bien pires que moi au chapitre de toutes ces choses qu’on attend de toi. Tu vas trouver la marche haute et tu te souviendras avec bonheur d’à quel point j’ai été d’un commerce facile.
- Oh! Ne t’inquiète pas pour moi…
- Et pourquoi pas? Tu crois pouvoir leur faire face? Tu ne seras pas chez toi là-bas… Tous ceux qui t’entoureront auront des ordres… Comme Hugo… Ils vont s’assurer que Stephan perde son influence. Evadne a déjà commencée.
- Non. Je te dis de ne pas t’inquiéter parce que je n’irai pas à Eranthidis.
- Quoi? T’étais sérieuse?
- Pourquoi ne le serais-je pas?
- T’as vraiment eu une vision cette fois?
- Pffff

Lynch poussa la porte de la chambre et laissa Finn entrer.

- Qu’est-ce que tu veux emporter? Tes livres? Le coffre de ton père?
- Je ne veux rien emporter… Je veux pouvoir revenir les chercher quand j’en aurai l’opportu
nité.

Lynch dévisagea Finn un long moment et la gamine resta stoïque sous son examen.

- Qu’est-ce qui va arriver?
- Je l’ignore…
- Alors tu n’es pas plus mal lotie que le commun des mortels. Nous allons parer à tout… Une bonne couverture, tes bottes neuves et ton meilleur manteau. Stephan le remarquera mais je lui parlerai…
- Je vais prendre mon petit couteau…
- Il te faudrait une meilleure lame…
- Ça ira…
- C’est un pèle patate… dénigra l'enseigne....
- Mais la lame est bien effilée…
- J’imagine que ce fameux grand frère te protégera…
- Il te manquera, lui aussi…
- Évidemment…